Monsieur le Wali de Bank Al Maghrib,

Monsieur le Président du GPBM,

Messieurs les Présidents et directeurs généraux de Banques,

Messieurs les Présidents des Fédérations sectorielles de la CGEM,

Chers confrères,

 

Permettez-moi, tout d’abord de vous souhaiter mes meilleurs vœux pour cette année 2016 en espérant qu’elle sera riche en projets de développement et…en financements bancaires nécessaires.  Car le système bancaire marocain est au cœur de l’économie : L’encours des crédits bancaires équivaut à 75% du PIB du Royaume et 63% de ce montant est accordé aux entreprises.

Dire que l’entreprise et la banque sont interdépendantes est donc un euphémisme. Les banques ont besoin des entreprises pour entretenir un volume d’activité non négligeable, tout comme ces dernières ne peuvent se passer des concours bancaires pour financer leur exploitation et leur développement. Le Banquier est souvent le compagnon de route du chef d’entreprise, il le conseille, le soutient et, parfois prend des risques avec lui.

Une relation aussi fusionnelle, ne se passe pas sans heurts, bien entendu. Elle est marquée par des rapports de force liés à la dimension d’une entreprise ou d’un groupe et à la profondeur de l’engagement bancaire envers cette entreprise. Et comme dirait l’adage « si vous devez 1.000 DH à votre banquier, vous avez un problème, mais si vous devez 10 MDH à votre banquier c’est lui qui a un problème ».

Cette relation est également, et au-delà des normes et des ratios, une relation humaine, où le facteur confiance est clé ; et où et la bonne connaissance à la fois du chef d’entreprise et de l’entreprise mais également des contraintes auxquelles doit se plier le banquier, revêtent un aspect déterminant. 

C’est à la lumière de cet avenir commun, de ce parcours partagé, qu’il faut lire l’évolution des crédits bancaires. Une baisse ou un ralentissement sont un signal d’alarme sur la santé de l’économie et qui nous pousse, nous, entreprises et banques à  nous interroger mutuellement.

Ce signal d’alarme ressort à travers les chiffres du secteur bancaire au cours des 11 premiers mois de l’année 2015 (chiffres du GPBM) :

  • L’encours global des créances sur la clientèle a chuté de 0.6%, ce qui veut dire que les montants des nouveaux crédits distribués n’arrivent même pas à couvrir les remboursements effectués au cours de cette période ;
  • L’encours des crédits d’équipement a chuté de 1%, ce qui veut dire que l’investissement se fait rare ;
  • L’encours des crédits de Trésorerie s’est dégradé de 13%, ce qui veut dire que les banques financent moins les besoins en fonds de roulement ;
  • Le taux de créances en souffrance sur la clientèle est passé de 7% à 8%,  ce qui indique une dégradation de la solvabilité des entreprises. A titre de comparaison, En France, ce taux tourne autour de 4%, en Italie, il est de 10% et en Espagne, il atteint 12%.

Cette décrue des crédits a des raisons. Nous pouvons citer en premier lieu la dégradation de la conjoncture économique, mais aussi une période de transition dictée par la nécessité de rentabiliser au préalable les investissements consentis par le passé ou encore l’apurement des stocks dans un contexte de contraction de la demande.

Nous pouvons également invoquer l’allongement des délais de paiement qui a un double effet négatif : il augmente les besoins en fonds de roulement des entreprises et obère leur autofinancement et donc leur propension à investir. Dans ce cadre permettez-moi de partager avec vous deux constats :

  • Au Maroc, 70% de l’investissement est réalisé par le secteur public, soit grosso modo une enveloppe de 186 milliards de DH. Si l’on prend un taux de réalisation de 70%, tel que cité par le ministre de l’Economie et des Finances, ce sont donc 130 milliards de DH qui sont théoriquement injectés dans l’économie. Mais, quand et à quelles conditions ces 130 milliards sont-ils injectés ? Car, depuis quelques années, le secteur public paie en retard, très en retard, et ce sont les entreprises qui se retrouvent dans une position qu’elles n’ont pas choisie : celle de banquier forcé de l’Etat pendant plusieurs mois. Mais alors, si les entreprises font crédit à l’Etat,  qui va faire crédit aux entreprises ?
  •  Autre constat : le crédit inter-entreprises a augmenté de 36% en 5 ans (2010-2014) soit plus que la progression du crédit bancaire aux entreprises qui, lui, n’a crû que de 17%.

Cela veut dire tout simplement que les entreprises n’ont pas pu avoir suffisamment accès aux crédits de trésorerie pour pouvoir combler les retards de paiement qu’elles subissent. En bout de chaîne, qui paie la facture ? Ce sont très souvent les petites entreprises qui font crédit au grandes, car elles n’ont pas trop le choix, et je ne vous apprends rien en vous disant que le nombre de défaillance en 2015 a crû de 20%.

Bien entendu, il y a également d’autres raisons à la décrue des crédits. Elles sont endogènes à la relation entre la banque et l’entreprise, non sans être déconnectées du contexte économique que je viens de citer.

Au cours des dernières semaines, la CGEM, a mené une enquête auprès d’une centaine de ses membres sur le sujet. Il en ressort globalement que l’accès au crédit est devenu plus difficile. Les facteurs invoqués, vont de l’excès de garanties exigées (et particulièrement la caution personnelle du dirigeant), à la faiblesse de la structure financière de l’entreprise, en passant par le manque d’approche individualisée, spécifique, ou sectorielle, la méconnaissance du secteur d’activité par le réseau distributeur, la cherté des taux  ou encore le manque d’information sur le scoring.

Face à ces observations, qui ne sont pas nouvelles, les banquiers ont, bien entendu leurs arguments, dont le principal est qu’elles ne peuvent se permettre de financer des dossiers non bancables.

Entre les raisons des uns et des autres, il y a sans doute un juste milieu et nous avons tous, entreprises et banques, la responsabilité de réfléchir, ENSEMBLE, aux moyens de relancer la machine économique et de faire en sorte que l’entreprise qui mérite un financement puisse y accéder, dans le cadre d’un risque maîtrisé (et pas un zero risque)

Nous écouterons les représentants du secteur bancaire et ceux des entreprises à travers la CGEM et quelques-unes de ses fédérations sectorielles avec pour objectif de tracer un cadre de travail, susceptible de proposer des solutions concrètes et applicables.

Posons alors les questions, les BONNES questions et de manière ouverte :

 – Y a-t-il aujourd’hui des secteurs d’activité, ou des branches, qui ne sont pas éligibles, dans la conjoncture actuelle, au crédit bancaire ?

– Dans ce cadre,  n’est-il pas nécessaire d’avoir une approche différenciée par entreprise et non par secteur ?

– Les garanties exigées par les banques doivent-elles nécessairement couvrir 100% du montant du crédit et inclure une caution personnelle ?

– Les créances étatiques prouvées peuvent-elles constituer une garantie ? la signature de l’administration publique est-elle encore crédible chez le secteur bancaire ?

– Face aux retards de paiement étatique n’est-il pas possible de créer un outil de financement ad-hoc pour permettre aux entreprises de continuer à travailler ?

– Les entreprises ont-elles accès à l’information concernant leur scoring pour pouvoir corriger le tir éventuellement ?

– Peut-on envisager de mettre en place une structure d’assistance au TPME pour leur permettre de présenter des dossiers « bancables » ?

La réponse à ces questions -et certainement d’autres questions que poseront nos fédérations et nos partenaires du secteur bancaire- doit être concertée et réfléchie. J’invite donc, messieurs les chefs d’entreprises et messieurs les représentants du secteur bancaire à un débat serein et responsable dans le sens d’un intérêt commun.

Je vous remercie pour votre attention.

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